Société des Documentaristes de la Radio Publique

Nous concevons depuis des années des documentaires, des créations sonores, des reportages originaux diffusés sur les antennes publiques et édités en podcast sur les sites de France Culture, France Inter, France Bleu, France Musique, Mouv’. Selon les mesures d’audience, certains sont les plus écoutés et téléchargés de France.

Si nous prenons la parole aujourd’hui, alors que nos métiers consistent plutôt à la donner, c’est pour faire connaître nos conditions de traitement à Radio France. La hauteur de nos revenus ne correspond ni à notre temps de travail, ni à notre niveau de qualification, ni à la nature créative de nos métiers, ni à nos responsabilités de cadre supervisant toutes les étapes de fabrication des contenus sonores produits, ni, enfin, à notre expérience ou à notre ancienneté.

A titre d’exemple, un format documentaire d’environ une heure, pour France Culture, nous est payé 1 250 euros brut, soit environ 900 euros net pour dix jours de travail maximum déclarés (80 heures), là où nous ne mettons jamais moins de vingt jours en réalité (160 heures). Nous gagnons moins que le smic : 1 250 euros /160 h réellement travaillées = 7,81 euros brut, soit 5,62 euros net de l’heure !

Il n’est plus supportable pour nous que la première société de radiodiffusion de France, disposant d’une dotation de 623 millions d’euros de l’Etat et donc des contribuables, dissimule une bonne partie du travail que nous effectuons, dès lors que l’on œuvre dans des écritures radiophoniques élaborées.

Savoir-faire et investissement
N’en déplaise à ses dirigeants, documenter le réel de manière innovante, pertinente et nuancée, en tenant compte de toute sa diversité humaine et sociale et de ses complexités, réclame du temps et une attention de tous les instants : rédaction des projets, lectures, recherches d’intervenant·e·s, de situations éloquentes, d’archives, d’extraits d’ouvrages et de films, traductions le cas échéant, repérages, concertations avec l’équipe, préparation et organisation des tournages, enregistrements, dérushage, montage, apports des textes et illustrations pour les sites et la presse… La liste est trop longue pour être exhaustive ici, mais il est indéniable que la qualité et l’exigence nécessitent des savoir-faire et un réel investissement.

Autre incongruité, la radio publique nous recrute sous les appellations inappropriées de «productrices-teurs délégué·e·s» ou de «collaboratrices·teurs spécialisé·e·s» et nous considère uniquement comme des technicien·ne·s alors que nos fonctions consistent avant tout à créer des expressions sonores inédites. Du reste, en nos qualités d’autrices et d’auteurs, nous percevons des droits patrimoniaux (attachés à leurs retransmissions).

Le premier passage de nos longs formats sur France Culture nous rapporte entre 650 et 750 euros net (19 euros brut la minute originale). Leur publication en «podcast replay» nous permet de toucher quelques dizaines d’euros de plus (0,86 euro brut la minute). Le tarif des écoutes exclusivement en podcast, qui n’est pas encore fixé, sera très inférieur à celui d’une diffusion sur les ondes.

Des salariés «Kleenex»
Si nos œuvres viennent d’ailleurs enrichir le patrimoine radiophonique et sonore de manière permanente, nous sommes, quant à nous, des salarié·e·s «Kleenex», jetables à souhait. Que Radio France soit notre employeur unique, principal ou très occasionnel, nous sommes, en effet, toutes et tous engagé·e·s sous contrats courts intermittents (bénéficiant ou non d’indemnités chômage).

Et cerise sur le gâteau, lorsque nous demandons que toutes nos heures de travail nous soient payées, les directions des chaînes nous répondent qu’à budget contraint, cela va les obliger à réduire les cases de documentaires et de créations sonores.

Ce chantage est d’autant plus contestable que leur production a été réduite de moitié ces dix dernières années sans que nos revenus n’aient été pour autant ajustés. Ils ont baissé au contraire.

Nous opposons à cette scandaleuse injonction au bénévolat que les ressources financières de Radio France doivent être mieux réparties.

Garants du pluralisme éditorial et de la variété des genres présents sur nos antennes, les créneaux documentaires sont les seuls qui permettent d’entendre des paroles rares et singulières captées sur le terrain du vivant, des histoires qui racontent justement ce que nous formons de commun. Leur diminution entraîne la disparition progressive de voix anonymes et de points de vue dissonants. Cela relève pourtant de notre mission de service public de leur tendre nos micros.

Pratique inique mais entretenue
Unique actionnaire de Radio France, l’Etat doit intervenir. Nous demandons à Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, et M. Olivier Dussopt, ministre du Travail, de faire cesser cette exploitation systémique. Cela fait des années que cette pratique inique est identifiée en interne et sciemment entretenue. Pour pouvoir vivre de notre travail, il doit nous être pleinement rétribué.

Nous voulons que nos métiers de «documentariste radio» et de «créatrice·teur sonore», qui assurent le rayonnement culturel, social et éducatif de la radio et de l’écoute en podcast, soient introduits dans la liste des emplois artistiques de l’entreprise publique sous votre tutelle. Ils n’y sont pas. Il nous paraît légitime de les intégrer, au même titre que nos collègues «chauffeur·e·s» et «comptables» figurent au répertoire logistique et administratif.

Nos professions doivent également être inscrites dans la convention collective nationale de la radiodiffusion en cours de réforme. Les syndicats des salarié·e·s et des employeurs, dont ceux des médias publics, sont précisément en cours de négociation sur ces sujets à Radio France comme à l’échelle nationale. C’est le moment de nous aider.

Ces injustices sont rendues possibles du fait de notre vulnérabilité contractuelle. En les portant à votre connaissance, nous nourrissons l’espoir qu’elles seront très prochainement réparées.

Cette publication collective est anonyme afin de limiter les risques d’éviction consistant à ne plus reconduire nos collaborations respectives.